Soutien aux déboulonneurs

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Le Collectif des Déboulonneurs au tribunal correctionnel de Paris, le vendredi 12 janvier 2007

vendredi 1er juin 2007, par nicolas

Les débats et plaidoiries ont duré 3h40 en tout :
- 1h40 consacrées au rappel des faits et à l’audition des sept prévenus ;
- 1h consacrée à l’audition des trois témoins ;
- 1h consacrée au réquisitoire du procureur et aux plaidoiries des deux avocats de la défense ;

09h21 - Début de l’audience

La salle a une capacité relativement limitée, une vingtaine de places assises seulement. L’avocat François Roux demande à faire rentrer vingt personnes de plus.
L’audience commence par un délibéré et cinq renvois, dont un accordé « du fait de l’audience extrêmement chargée », d’après la présidente.

09h35 - Appel des prévenus

Appel de la partie civile : la présidente constate son absence et évoque ironiquement l’avance des journalistes sur les faits, quelques journaux ayant annoncé que les afficheurs s’étaient porté partie civile. L’information erronée provenait du Collectif des Déboulonneurs dont les avocats n’avait en fait reçu qu’une facture de nettoyage de la part des afficheurs.

La présidente autorise ensuite les témoins à rester dans la salle pendant tous les débats puisqu’ils ne sont pas témoins des faits reprochés aux prévenus et que ces faits ne sont pas contestés.

- la présidente : vérification de l’état civil des prévenus, jamais condamnés, tous parfaitement insérés socialement. Déclinez vos professions. [...] Effectivement vous êtes tous insérés, de professions diverses ; vous êtes tous poursuivis pour les mêmes faits. Le parquet a abandonné les poursuites pour refus de certains de donner leurs empreintes digitales et de se laisser photographier. Vous êtes poursuivis pour dégradation volontaire panneaux publicitaires le 28 octobre 2006, dont il résulte un dommage grave. La description action est la suivante [...] un policier observe sept personnes qui se détachent du groupe, font des inscriptions à la bombe de peinture portant sur des mesures de 50 x 70 cm qui serait le seuil acceptable des dimensions de la publicité [...] Au poste de police avez reconnu chacun vos actions individuelles, tel slogan, tel panneau, donnant chacun vos raisons : les actions légales ont été vaines, d’où la décision passer à la désobéissance civile, de réagir face à l’inertie des pouvoirs publics pour attirer l’attention. Sauf que la désobéissance civile en droit pénal est un délit, le mobile est indifférent, le délit doit être jugé même si on peut comprendre votre combat. Il y a eu un refus de fichier pour quatre d’entre vous. Certains n’ont aucune certitude sur la confidentialité des fichiers, qui y a accès. Certains assument et refusent à la fois l’étiquette délinquant, puisqu’il ne s’agit pas d’un acte criminel. Malgré tout, le délit implique le terme délinquant.

Yvan Gradis

- Yvan : Je dédie ma défense à l’entrée de Douarnenez, en venant de Quimper, l’un des nombreux paysages français saccagés par la publicité. Je dois me justifier en tant que barbouilleur. Je n’ai jamais vu un pompier obligé de se justifier du fait qu’il éteint un incendie. Pour moi, la publicité est comme un incendie, en moins beau. On sait que la Justice est aveugle : ses allégories la représentent avec un bandeau sur les yeux. Mais, si la Justice est aveugle, les juges ne le sont pas. Et vous, madame la Présidente, qui n’habitez probablement pas sur une île déserte, (vous êtes une femme, un être humain, et d’après le ton que vous avez employé) vous voyez sûrement la même chose que nous : la violence et la manipulation publicitaires. Voilà les deux reproches principaux que l’on peut faire à la publicité ; 99 % des messages ou des campagne publicitaires sont soit violents, soit manipulateurs, ou les deux. Mais, puisque je dois me justifier, sans raconter ma vie, sachez que, pendant cinq ans, de 1995 à 2000, j’ai chassé le panneau publicitaire par la voie légale, dans le cadre de l’excellente association Paysages de France, dont je signale au passage que le président se trouve parmi nous aujourd’hui. Pendant ces cinq années, j’ai constitué 400 dossiers d’infraction, mais n’ai réussi à faire tomber que 100 panneaux illégaux. Même si j’en suis fier, il s’est passé quelque chose dans ma tête en 2000 : cela ne m’a pas suffi.
J’ai donc conçu la notion de "légitime réponse", un mélange de "légitime défense" et de "droit de réponse", deux notions déjà reconnues par la loi (j’ai dédié mon manifeste en 2000 « à ceux qui nous jugeront »). Et j’ai donné à cette notion la forme concrète du "barbouillage", un mot imparfait mais qui circule depuis lors. En tout cas, un mode d’action dont j’assume, aujourd’hui plus que jamais, l’entière responsabilité morale.
- la présidente : vous êtes le fondateur ?
- Yvan : je suis l’un des cinq signataires du manifeste du Collectif des déboulonneurs
- le procureur : avant de barbouiller ces panneaux, vous êtes-vous renseigné sur la légalité des dispositifs ?
- Yvan : Non. Il y a deux positions au sein du mouvement, ceux qui privilégient la lutte contre les panneaux illégaux, et ceux qui pensent que tout dispositif surdimensionné constitue une pollution visuelle. Je me rallie à cette dernière position.
- le procureur : Vous êtes hors-la-loi [...] Vous estimez ne pas avoir commis d’acte délinquant [...] Votre désobéissance civile ne change rien à l’affaire [...] Vous êtes minoritaires et de toutes façons hors-la-loi.

Yann Le Breton

[Il est constamment interrompu par le procureur. Il y a eu un foisonnement d’échanges impossibles à retranscrire dans leur intégralité]

- Yann : si je suis ici aujourd’hui...
- le procureur : C’est parce que je vous ai convoqué ! Vous avez commis un délit, vous êtes dans un tribunal, vous ne vous êtes pas invité !
- Yann : j’ai vécu publiphobie comme un processus de prise de conscience d’une forme de viol doux. La publicité est omniprésente dans l’espace public. Ceci entraîne deux réactions. On peut devenir violent, ou canaliser sa violence par l’investissement dans un mouvement collectif afin de faire changer les choses. Mon barbouillage est symbolique, c’était le dernier recours possible. Personnellement je suis fier d’avoir accompli ce processus. Ainsi j’ai compris ce que veut dire être citoyen, avec ses droits et ses devoirs. Pour moi aujourd’hui le barbouillage des panneaux publicitaires est un devoir.
- le procureur : Tout le monde ne ressent pas les choses de la même façon. Vous vous érigez en détenteur de la vérité [...] Et si vous luttiez contre fléau alcool, tabac, etc., détruiriez-vous des bureaux de tabac ? [...] Je vois un problème entre les termes que vous employez « devoir », « citoyen », et l’illicité !
- Yann : le droit à l’avortement a été conquis par des luttes impliquant la désobéissance civile [...]
- le procureur : [...] Il y a une différence entre se battre pour son corps et imposer une solution collective [...] J’ai personnellement connaissance de dizaines de poursuites devant les tribunaux dans des dossiers d’urbanisme contre des enseignes et des publicités illégales [...] Cous faites ce que vous voulez, vous n’en faites qu’à votre tête.
- Yann : [...] J’ai un profond respect pour la loi [...]
- la présidente : Mais vous tombez sous le coup de la loi.
- le procureur : Comment s’est constitué le groupe des sept barbouilleurs parmi les 100 personnes présentes ? Qui a dit « on y va » ?
- Yann : Je ne m’en tiens qu’à mon rôle, j’ai pris une bombe de peinture et j’ai fait ce que j’avais à faire.
- le procureur : Mais comment ce groupe de sept s’est constitué, pourquoi les 93 autres n’ont pas barbouillé ? [...] Qui vous a donné cette bombe ?
- Yann : Jonnêtement je ne m’en souviens pas, et ça n’a aucune importance [...]
- le procureur : [...] Vous mentez, en tous cas je constate que vous ne donnez aucune explication sur la dynamique du groupe [...] Vous n’êtes pas sincère, c’est contradictoire avec la posture de citoyen modèle que vous avez développé [...] Quelle surface avez-vous barbouillé ?
- Yann : Il y avait deux panneaux de 12 mètres carrés chaque, la surface totale barbouillée lors de cette action était de 24 mètres carrés.

Céline Ramboz

- Céline : J’ai inscrit sur le panneau un cadre indiquant les dimensions « 50 cm x 70 cm », qui est la taille réglementaire en vigueur pour l’affichage associatif et d’opinion. Notre revendication ne vient pas de nulle part, elle part d’une base juridique existante [...] Vous-même pouvez provoquer ces changements.
- le procureur : La seule façon de changer les textes c’est de procéder de cette façon là ?
- Céline : Oui, car il y a état d’urgence [...] J’ai une fille de six ans. Je peux commencer à voir concrètement les dégâts de la publicité sur de jeunes cerveaux qui sont comme des éponges. Sur le chemin de l’école nous croisons 12 panneaux chaque jour avec ma fille en un parcours de 7 minutes [...] Je constante les dégâts et la violence générés par ce système. J’ai agi en parent responsable, incapable de lutter autrement face à l’irresponsabilité des afficheurs ; je ne fais pas le poids. J’ai un grand respect de la démocratie, alors je fais appel aux autorités pour réagir ;
- le procureur : Vous êtes contre toute publicité, contre le commerce !
- Céline : Si je cherche une information, je peux la trouver en 50 x 70 cm, c’est une démarche dont j’ai l’initiative. Le commerce est une bonne chose, mais je suis contre les abus et les excès de la publicité. Ce ne devrait pas être possible de subir dix fois de suite le même panneau géant en rafale.
- le procureur : Et pourquoi vous arrogez-vous le pouvoir de décider quelle est la bonne taille ? Les autorités ne sont pas d’accord avec vous, vous êtes minoritaires sur ce combat [...] La publicité qui dérange les gens, ce sont les prospectus dans les boîtes aux lettres.
- Il n’y a pas de contrôle de l’affichage publicitaire, ils font n’importe quoi [...] Un enfant qui évolue dans l’espace public n’a devant ses yeux que messages publicitaires, des représentations de marchandises.
- le procureur : Pourquoi considérez-vous que le débat n’est pas suffisant ? Pourquoi ne pas s’en tenir à la démocratie ? Vous n’êtes pas démocrate !
- Céline : Le barbouillage n’est pas un acte violent [...] En tous cas ils est beaucoup moins violent que ce que fait la publicité sur un cerveau.

Laurent de Soras

- Laurent : Dans les espaces publics, la rue, le métro, je subis les messages publicitaires en permanence, je ne peux pas ne pas les regarder. On me dit alors de baisser les yeux, de détourner le regard, mais j’estime que ce n’est pas agir dignement dans un espace de liberté. Ces messages véhiculent des valeurs en totale opposition avec les miennes. Par exemple quand je vois toutes ces poubelles qui regorgent de marchandises, je vois là une société qui promeut le gâchis et le non-respect du travail d’autrui.
- la présidente : C’est toute la société de consommation que vous remettez en cause...
- Laurent : Effectivement, et plus particulièrement la publicité qui en est le moteur. Le fait qu’elle s’impose sans choix ; j’ai cherché tous les moyens d’y répondre, j’ai fait des démarches dans ma commune. Un exemple qui m’a particulièrement choqué : il y a des obstacles urbains qu’on appelle « sucette » dans le jargon ; ce sont des panneaux présentant au recto de l’information municipale et au verso des affiches publicitaires. À un moment donné, c’était lors d’une période de fêtes, il y avait côté pile une campagne de lutte contre drogue, et côté face une grande proportion de publicités pour de l’alcool – considéré officiellement comme une drogue. J’ai fait part de cette incohérence à la mairie, mais je n’ai eu aucune réponse, je me suis même fait censuré du forum internet « citoyen » de la municipalité. Après avoir discuté avec d’autres personnes et associations dans des situations similaires, j’en suis venu à la conclusion que les voies légales n’aboutissaient pas. D’où le choix de la désobéissance civile pour faire émerger un débat. L’idéologie propagée devrait être discutée puisque subie sans choix. Je voudrais mettre à l’épreuve le système publicitaire pour qu’il se justifie publiquement quant à ses moyens et ses finalités, sur un plan autre qu’économique. Je trouve par ailleurs normal qu’une entreprise puisse communiquer sur ce qu’elle fait ; je ne m’oppose pas à cette idée.
- le procureur : Vous n’avez eu jusqu’à présent aucune condamnation, j’en déduis qu’aucune autre cause plus grave et urgente jusqu’à présent ne vous à poussé à la désobéissance civile : pourquoi choisir cette cause ?
- Laurent : Cela me touche personnellement.
- le procureur : Donc c’est votre cause personnelle, pourquoi la mettre en tête de l’agenda de vos concitoyens ? Je ne vous reproche pas la violence mais le passage en force de votre parole.
- Laurent : La publicité est la première à s’imposer à moi [...]
- le procureur : Beaucoup de chose s’imposent à vous, la vie est faite de contraintes !
- Laurent : Ces contraintes-là je n’ai pas eu la possibilité de les choisir ou de les discuter.
- le procureur : Mais vous croyez que les contraintes se choisissent ? Vous aurez à choisir entre votre liberté [...] et la liberté des autres qui est violée, celle de l’afficheur qui paye...
- Laurent : La puissance conférée aux publicitaires me semble exorbitante et écrasante. [...] Quand la loi défend celui qui opprime, comment faire ? Je citerais un auteur dont j’ai oublié le nom : « La résignation est un suicide quotidien ».
- le procureur : Mais votez, monsieur, fondez un parti ! Pourquoi ne pas faire un procès contre les publicitaires ?
- Laurent : Et nous y sommes.
- le procureur : Je vous reproche de faire un procès ici devant des journalistes.

Alex Baret

- Alex : Je voudrais faire valoir ma liberté de réception, ou plutôt de non-réception. J’ai le droit de ne pas me faire pénétrer par les messages des annonceurs. Mon métier est représentant commercial, je suis fils de commerçant. Je pense que la publicité est légitime, mais nous devons pouvoir exercer notre droit au choix. Au nom de quoi la puissance publicitaire, qui n’a pas le monopole de la violence, peut s’imposer à moi ? La publicité est un poids financier gigantesque, son budget au niveau mondial est de plus de 1000 milliards de dollars. Les demandes légales n’aboutissent pas, les élus font la sourde oreille. Je suis père de famille, un « bon père de famille », je ne vois pas pourquoi mon enfant serait considéré comme client, obligé de vivre dans un environnement sexualisé pour faire vendre [...]
- le procureur : Votre enfant subit aussi une contrainte par rapport à l’éducation parentale qu’il reçoit, vous imposez votre éducation à votre enfant, vous le conditionnez autant voire plus que la publicité.
- Alex : [...] 78% des sondés sont publiphobes. Il y a une grande difficulté à mener débat démocratique.
- le procureur : Qu’est-ce qui vous permet d’imposer votre point de vue ?
- Alex : [...] Il y a urgence : les problèmes environnementaux, sociaux. J’ai un grand respect pour les journalistes en tant qu’individus et le métiers qu’ils font quotidiennement, mais l’objectivité des médias est malmenée par le financement publicitaire [...]
- le procureur : Vous dénaturez la désobéissance civile sur une cause comme la publicité, alors qu’il y a tellement de causes plus urgentes. Je vous reproche de ne pas tenir compte du pluralisme, des lois votées par une majorité.
- Alex : Je veux faire progresser la loi, c’est mon vœu le plus cher. Il y a actuellement un déficit de l’action des pouvoirs publics. C’est n’est pas pour rien qu’on observe une recrudescence de la désobéissance civile ces dernières années.

David Sterboul

- David : La violence causée par la publicité a déjà été bien exprimée par les autres. J’y ajouterais une expérience personnelle. Par exemple les affiches de film d’horreur dans espace public me choquent. On y voit des dents arrachées, des doigts coupés en très gros plan alors que par ailleurs le film est interdit aux moins de 16 ans. Je tiens par ailleurs à lever le suspens, c’est moi qui ai donné une bombe de peinture à Yann.
- le procureur : Sur 100 personnes, 93 spectateurs approbateurs, sept barbouilleurs...
- la présidente : Alors c’était organisé, qui fait quoi ?
- David : Il y a eu un appel public à un rendez-vous, sept personnes ont été prêtes à barbouiller. Il y avait environ une cinquantaine de policiers présents : la police est la catégorie socioprofessionnelle la plus représentée à nos actions. Puis la police attend que les sept personnes aient barbouillé pour les arrêter. Plus d’une fois au cours de nos actions des policiers nous ont dit « je comprends ce que vous faites, et je suis d’accord ». Les inscriptions étaient effacées le lundi suivant l’action.
- le procureur : Je constate que vous êtes plus sincère que votre collègue [...]
- David : Je fais partie de l’association Paysages de France : la loi de 1979 qui régit l’affichage publicitaire est laxiste, impossible à synthétiser, personne n’y comprend rien. De plus elle est injuste. Malgré cela, les afficheurs trouvent le moyen de violer cette loi. On estime qu’il y a 150 000 panneaux illégaux, alors que nous, nous avons barbouillé deux panneaux ! De plus, Paysages de France doit poursuivre les préfets pour qu’ils fassent leur travail. L’association a interpellé les ministres de l’intérieur, pas moins de cinq fois en ce qui concerne celui qui est en place. Nous n’avons jamais été reçus, pas même une réponse-type. Il y a eu des pétitions, des dizaines de questions ont été posées à l’Assemblée Nationale aux ministres de l’environnement. Nous avons tenté tous les recours démocratiques possibles dans cette république et rien ne change. Dans notre désobéissance civile, le barbouillage n’a été que symbolique, mais c’est la moindre des choses.
- le procureur : Mais je crois à la désobéissance civile pour des causes qui en valent la peine. Si vous êtes condamnés, l’injustice serait dans la condamnation, dans la loi ou dans l’action que vous avez commis ?
- David : La justice sera dans le degré de dureté de la peine [...] Car il y a état d’urgence pour les victimes, pas pour les publicitaires.
- le procureur : Et moi j’ai urgence à poursuivre ceux qui violent la loi !

Jean-Michel Vourgère

- Jean-Michel : Je suis publiphobe depuis très longtemps, j’ai l’impression de me faire manipuler. Que suis-je sensé faire quand on me ment en permanence ? [...] La publicité représente des petits préjudices, mais constamment et en grand nombre. Elle est massive et omniprésente, les petits préjudices s’accumulent. Je m’efforce d’achèter des produits pour lesquels on ne fait pas de publicité [...] Je peux vous dire que l’effet d’une affiche publicitaire pour de l’alcool sur quelqu’un qui sort d’une cure de désintoxication est désastreux [...] Quand vous prenez le métro, madame la juge, vous devez regarder vos pieds pour ne pas la voir.

11h21 - Appel des témoins

Maurice Pergnier

- Maurice Pergnier : J’approuve les dépositions faites par les prévenus. Ils sont accusés de dommage grave... tourne-t-on le tribunal en dérision ? Je voudrais attirer votre attention sur un aspect juridique et non pas idéologique, politique. Ici le « dommage grave » a été réparé par quatre coups d’éponge. Il y a un problème inédit et nouveau concernant l’affichage publicitaire. Je suis d’accord avec le fait que les atteintes aux personnes par la publicité sont bien plus graves que ceux faits aux affiches. Ces personnes sont prévenues pour atteinte à une feuille de quatre mètres sur trois. Toutefois ces personnes sont aussi concernées car l’affiche ne se définit pas par sa surface matérielle, le support loué, mais par un espace en trois dimensions dans lequelle elle peut être vue. L’affiche rayonne à une centaine de mètres à la ronde. S’il y a atteinte à un bien, c’est un bien que les publicitaires s’attribuent, du « temps de cerveau disponible » des gens circulant devant l’affiche. La surface en question peut être un espace privé mais le volume de rayonnement se situe dans l’espace public. On le voit bien, car les tarifs de location d’espace sont différents suivant l’endroit. Il s’agit d’une prédation de l’espace public. Il y a des limites qui sont reconnues en droit par la loi de 1979, par exemple dans un rayon de 100 m autour d’un monument historique. L’espace collectif, monsieur le procureur, se définit comme appartenant à tout le monde, or il se trouve que les publicitaires se l’approprient, et ils n’y ont aucun droit. Partout, tous les jours, dans les lieux publics, il y a des gens qui barbouillent des affiches, c’est dire que nombreux sont ceux qui sont choqués. Ces sept n’ont barbouillé qu’une infime partie des affiches barbouillées chaque jour. C’est le combat de David contre Goliath.
- La présidente : Encouragez-vous ces actions de désobéissance civile ?
- Maurice Pergnier : Je n’encourage jamais autrui à ce que je ne fais pas, mais j’ai assisté à certaines actions. Je serais choqué que l’on barbouillât ce qu’il y a derrière vous madame la présidente [symbole de la république et de la justice], mais je ne suis pas choqué que l’on réponde à une affiche. Les affiches sont là pour qu’on leur réponde, par exemple ces femmes à quatre pattes vendant des produits sans rapport avec la sexualité, c’est une provocation.

Jean-François Pellissier

- Jean-François Pellissier : Je suis maire adjoint du 13ème arrondissement de Paris, élu local, à la démocratie participative, notamment en charge de la délégation des outils d’affichage associatif. Paris est dans l’illégalité pour le nombre de panneaux consacrés aux associations et opinion libre, nombre insuffisant par rapport à prescription légale. Il m’a fallu trois ans pour en placer dix-huit. Dans le même temps l’affichage publicitaire grand format se développe à grande vitesse sans que je ne puisse rien y faire, je suis très inquiet, c’est une privatisation de l’espace public. Il y a eu des vœux du conseil de Paris pour supprimer les ZPE [zones de publicité élargie, presque aucune restriction] et pour que le législateur mette en place une législation plus respectueuse mais sans succès. Les prévenus ont usé de démocratie, et c’est en état de nécessité qu’ils ont agi. Quand les canaux de la démocratie sont bouchés, et j’en suis un acteur au quotidien à mon échelle, il est sain que des actions collectives en état de nécessité alertent l’opinion et les politiques.

Claude Got

- Claude Got : Je suis confronté depuis 35 ans au problème soulevé ici par la voie de la désobéissance civile, et de la démocratie [...] Simone Weil avait compris l’importance de l’image qui s’impose, notamment aux enfants et adolescents. Il y a un problème de forme, il faudrait revenir à la publicité comme information, aujourd’hui c’est par la séduction qu’elle opère. [...] La lutte contre publicité pour l’alcool par voie d’affichage et télévisuelle a conduit très difficilement à loi Evin, avec l’idée que l’on doit interdire la publicité quand elle s’impose, ce qui n’est pas le cas par exemple dans les journaux. À l’époque, combien y a-t-il eu de poursuites du parquet contre des affiches non conformes à la loi Evin ? Aucune, seules les associations se battent pour faire appliquer la loi avec leurs faibles moyens. Même chose avec la publicité pour les automobiles mettant en scène la puissance et la vitesse, ceci en contradiction avec les lois et les accords entre constructeurs et ministères. Les blocages de la démocratie ont atteint un niveau tel que les publicitaires ont tout pouvoir. Même chose avec la publicité pour l’alimentation grasse et sucrée, face à l’épidémie d’obésité. La publicité sert à promouvoir des produits dangereux. [...] Les producteurs d’alcool ont investi des millions pour mettre une bière dans la main du chanteur Renaud. Vous imaginez l’influence que cela peut avoir sur les jeunes. [...] La capacité d’influence du virus mental de la publicité est tel que l’on doit aujourd’hui parler d’épidémies industrielles à une large échelle. Si la liberté est de faire ce qui ne nuit pas à autrui, alors la publicité est de toute évidence nuisible : c’est une force de persuasion. On peut tout à fait comparer sa force de frappe avec celle de la propagande nazi en Allemagne à l’époque. Le jeu des contre-pouvoirs de la démocratie est aujourd’hui insuffisant pour limiter ces pouvoirs. Monsieur le Procureur, la publicité est une activité nuisible. [...] Et dites-moi, depuis 1991 [loi Évin], combien y a-t-il eu de démarches du Parquet pour sanctionner les afficheurs qui ne cessent de transgresser la loi ? Madame la Présidente, j’ai 70 ans. Je suis déjà un vieux monsieur. J’ai toujours respecté le fonctionnement de la démocratie, mais avec ce que j’ai vu depuis 35 ans et si j’avais 50 ans de moins je serais aujourd’hui devant vous l’un des prévenus.
- François Roux : Considérez-vous que nous sommes faces à un danger actuel ?
- Claude Got : Oui, quand on voit la promotion des produits inutiles et nuisibles vendus grâce à la force de la publicité [...]
- le procureur : Si la démocratie est fragilisée, ne vaut-il mieux pas en rester aux moyens démocratiques pour la renforcer ?
- Claude Got : Il y a une complémentarité entre eux qui sonnent l’alarme pour que nous allions plus vite et tous ceux qui travaillent dans les canaux de la démocratie [...]
- le procureur : Si on enlève la séduction, on risque d’avoir un problème de renouvellement des générations !
- Claude Got : La séduction entre deux individus qui peuvent se répondre est incomparable aux moyens mis en œuvre par la publicité. Les gens sont d’autant plus sensibles à la publicité qu’ils sont moins éduqués, qu’ils ont le moins de défenses, comme on peut le voir dans le problème du surendettement.

12h17 - Débats clos

Le procureur

- Je vois un problème dans la conception que les prévenus ont de l’espace public. Il ne pourrait pas être investi par un autre que moi ? C’est caractéristique de l’espace privé ! Même face à une affiche, j’ai toujours la ressource de tourner la tête ailleurs [...] Il faut que la séduction soit possible [...] Vous suivez vos idées et vous ne voyez pas qu’il y a des gens qui ont d’autres idées et d’autres discours [...] Vous me faites peur à cause de votre rigidité, vous me semblez tous coulés dans le même moule ! [...] Le mal fait par autrui n’autorise pas le mal que je pourrais faire. L’état de nécessité ? Il n’y en a point, vous pouvez utiliser d’autres actions politiques. Restez par exemple devant l’affiche quelques heures et dispensez votre parole, ou tournez autour comme les ouvriers grêvistes américains. Les tribunaux ne sont pas là pour servir de tribune. Requalification en dommages légers ? Non, 24 mètres carrés barbouillés, le préjudice est d’importance suffisante pour considérer que le dommage n’est pas léger. Dispense de peine ? Les conditions ne sont pas réunies. Notamment vous revendiquez votre acte et ne changez pas de point de vue. Madame la présidente, vous entrerez en voie de condamnation, et la sanction requise sera de 500 euros d’amende avec sursis pour chacun des prévenus, ce qui devrait leur donner à réfléchir.

12h32 - Avocats de la défense

Aïcha Condé

- Il faut replacer action dans son contexte. L’ambiance était bon enfant, tout se faisait à visage découvert. Pour la qualification du délit : la société d’affichage a été entendue dans le dossier, elle se facture à elle-même 248 euros HT de nettoyage. C’est peu, et on peut imaginer que la facture a été gonflée. C’est donc un dommage faible, de plus qui a été nettoyé dès le lundi, c’est un dommage léger et réparé. Lors de toutes les actions, ils n’ont jamais endommagé les structures, ils ont toujours agi avec des bombes de peinture sur support vitré qui a été nettoyé. Que veulent les prévenus ? Dénoncer l’envahissement, le fait qu’on ne peut pas ne pas voir cette publicité : 18 panneaux sur le chemin de l’école en 7 minutes [...] 78% des sondés sont opposés à la publicité [...] Il y a eu 44 questions écrites à l’Assemblée Nationale. Tout le monde dit qu’il y a un problème et rien n’est fait [...] Les Enfants de Don Quichotte ont été entendus, les Robins des toits un peu moins, le RESF... au tour des déboulonneurs d’interpeller les pouvoirs publics.

François Roux

- Monsieur le procureur, la maison brûle, et vous regardez ailleurs [...] Madame la présidente, vous avez beaucoup de chance, nous avons beaucoup de chance. Vous avez permis un débat de qualité, qui pose des problèmes fondamentaux. Il y a danger, vous ne pourrez pas l’ignorer. Ce danger est actuel, pas imminent, mais actuel [...] [Il sort de ses documents le numéro 138 de la revue Alternatives Non-Violentes, y lit une citation, cite ensuite Politis, et plus tard, sourire aux lèvres, explique : ] Après cet autre propos tiré encore d’Alternatives Non-Violentes, voici Le Figaro. Vous voyez, Madame la Présidente, j’ai des lectures variées ! [...] Edgar Morin l’a dit, ce sont des éveilleurs, ce ne sont pas des gens qui agissent dans leur intérêt particulier. Certes il y a une objection de conscience individuelle, mais surtout désobéissance civile collective. [...] C’est une action symbolique, qui met fin et moyen en harmonie, comme le disait Gandhi. On de dégrade pas, on barbouille et on ne va pas plus loin [...] L’article 2 de la déclaration 1789, qui a été intégré dans notre charte constitutionnelle : le droit à la résistance à l’oppression. [...]
Vous trouvez que nous galvaudons la notion de désobéissance civile, Monsieur le Procureur ? Mais, poursuit-il, si vous habituez les gens à obéir, qui se lèvera quand ce sera nécessaire ? Je n’ai pas entendu dire que le corps des magistrats a répondu en masse à l’appel à la désobéissance civile du 18 juin 1940. Vous avez entendu le Professeur Claude Got ? Oui, il y a état de nécessité, il faut se mobiliser contre la publicité. Or l’état de nécessité, je vous le rappelle, c’est une notion que les juges ont créée en 1992 [...] Madame la Présidente, prononcez la relaxe au nom de l’état de nécessité, car il y a ici un fait justificatif. La désobéissance civile est la respiration de la démocratie. Vous pouvez aller plus loin que la dispense de peine, vous pouvez prononcer la relaxe. [...] Oui, notre société a besoin de gens comme eux, qui s’engagent, qui s’indignent. [...] Soyez audacieuse, Madame la Présidente. Soyez juge !

13h08 - Ajouts

la présidente demande aux prévenus s’ils ont quelque chose à ajouter

Yvan Gradis

[Il lève la main, se lève, demande publiquement à ses avocats et compagnons s’ils l’autorisent à prendre la parole quelques minutes et, avec leur tacite approbation, se lance dans cette ultime déclaration.]
- Yvan : Monsieur le Procureur, j’ai deux choses à vous dire. [Son ton est assez véhément] Premièrement, tout au long de ce procès, vous n’avez cessé, par un procédé typiquement publicitaire, de répéter que nous serions minoritaires. Vous n’en avez aucune preuve ! [La présidente lui demande de se calmer] Vous avez dû le répéter une quinzaine de fois. Eh bien, moi, je n’utiliserai pas la même méthode que vous ! Même si de récents sondages nous présentent comme majoritaires, je n’en ferai pas état, du fait que je ne crois pas aux sondages, même quand ils nous arrangent. Je tiens seulement à vous dire que je fais le pari que nous sommes majoritaires. Ce n’est qu’un pari, avec le risque intellectuel que cela suppose, et nous verrons bien si l’avenir me donne raison.
Deuxièmement, vous avez affirmé plusieurs fois que, par nos actions, nous faisons la même chose que ce que nous reprochons à nos adversaires, que nous utilisons la même méthode, en imposant notre message à la population. Or, il n’y a pas de commune mesure entre nos actions symboliques et le matraquage industriel opéré par les afficheurs grâce à leurs réseaux qui quadrillent tout le pays de façon totalitaire, comme la télévision quadrille le monde entier. Alors, cessez de comparer ce qui n’est pas comparable ! Madame la Présidente, je m’adresse maintenant à vous. [Son ton est plus calme...] Permettez-moi de passer par-dessus les institutions et de m’adresser à vous en tant qu’être humain. Car, comme toutes les femmes, comme tous les hommes, comme tous les enfants, vous avez sûrement constaté les mêmes choses que nous.
Je suis anarchiste et publiphobe, mais j’ai aussi subi un conditionnement chrétien quand j’étais enfant, et je suppose qu’il en reste quelque chose. En tant qu’anarchiste, je devrais passer mon temps à cracher sur les policiers. Au contraire, j’explique souvent à mes amis que les policiers ne sont pas nos adversaires. Je leur ai même écrit un jour une "lettre ouverte à mes frères policiers", que j’ai lue en public pendant une action. Je les considère un peu comme des "globules bleus" qui, comme les globules blancs et les globules rouges dans le sang, ont un rôle à jouer à part entière. En tant que publiphobe, je devrais passer mon temps à cracher sur les afficheurs. Eh bien, pareillement, j’ai écrit à ces derniers une "lettre ouverte à mes frères afficheurs", également lue en public lors de la même action, et dans laquelle je leur donnais, en quelque sorte, mon absolution. Je considère en effet que les afficheurs font ce qu’ils font parce qu’ils ne rencontrent aucun barrage et qu’on ne pourrait leur reprocher de chercher à gagner toujours plus d’argent, qui est quelque chose de très bon et de très utile. Ils ne font que profiter d’une loi laxiste d’une part, et, d’autre part, d’une passivité générale due au fait qu’ils se trouvent face à une population assise, assise probablement à cause de la télévision d’ailleurs...
De même que j’ai écrit ces lettres ouvertes aux policiers et aux afficheurs, j’ai pensé, dès que j’ai su que j’allais passer en procès, vous écrire une lettre que j’aurais intitulée "lettre à mes juges". Mais mon avocat m’a dissuadé de vous l’envoyer, puisque cela ne se fait pas. Je l’ai donc transformée en "plaidoirie d’un barbouilleur", que peut-être vous avez déjà dans votre dossier, sinon je pourrais vous la donner.
Sachez, par conséquent, que, pour mes amis et moi, le problème ne se situe pas dans la police, ni dans les afficheurs, ni dans la justice. Nous passons par-dessus tout cela pour ne prendre en considération qu’un seul problème : l’agression publicitaire. Et nous comptons sur vous pour nous aider à en venir à bout. Considérez-nous en effet comme une occasion de faire progresser la cause de l’intérêt général. C’est pourquoi, si vous nous relaxez, nous ne considérerons pas que nous aurons vaincu la justice, nous n’aurons aucune parole méprisante à l’égard de nos juges : simplement, par cette décision, vous aurez fait progresser la civilisation.

13h14
Décision mise en délibéré au 23 février 2007. Elle sera ultérieurement reportée au 9 mars.
Fin de l’audience.