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Tribune - Affichage publicitaire : l’impossible débat ?

mercredi 21 mai 2008, par nicolas

Tribune publiée dans Libération du 21 mai 2008.

L’affichage publicitaire est une pollution visuelle

Elles s’imposent à nous en permanence, défigurant nos paysages, violant nos consciences, manipulant nos enfants : les affiches publicitaires sont incrustées dans nos villes, nos campagnes et nos transports. Tout le monde le constate, beaucoup le regrettent, certains le critiquent mais personne ne répond.

Particularité française, notre pays est au premier rang mondial pour la proportion des dépenses publicitaires liées à l’affichage ( 12% soit 2,5 Mds d’euros). Il n’est pas question ici de refaire l’histoire ni d’analyser les différents mécanismes qui ont conduit à cette situation, mais simplement de questionner les blocages actuels sur cette thématique.

L’affichage est régi par une loi datant de 1979, extrêmement complexe, très permissive et qui est largement et régulièrement bafouée par les professionnels du secteur. Ceci est avéré et reconnu par les responsables politiques, toutes étiquettes confondues, et par la justice. A lui seul, ce fait mériterait que l’on s’interroge sur la loi actuelle, sur son application et plus largement sur sa légitimité. C’est en effet une question centrale. Contrairement à tous les autres médias, l’affichage oeuvre dans l’espace public. Il y occupe même une place privilégiée. A ce titre, il est impossible de s’y soustraire. Il ne s’agit pas de remettre en question la nécessité pour les acteurs économiques d’informer sur leurs activités. Mais qu’est-ce qui permet de justifier que les messages soient imposés aux usagers de l’espace public ? La liberté d’expression est fondamentale mais elle ne doit pas pour autant prendre le pas sur la liberté de réception. Tout individu doit avoir le choix de recevoir ou non un message, qu’il soit à caractère commercial ou non. Il est ainsi intéressant de noter que l’affichage politique et d’opinion est également réglementé, mais de façon beaucoup plus drastique que l’affichage commercial, tant dans les formats que dans la densité des dispositifs.

La dimension des affiches actuellement en vigueur, la généralisation des panneaux lumineux et déroulants, le déploiement toujours plus important des bâches sur les façades d’immeuble permettent sans équivoque de parler de pollution visuelle. Cette qualification est largement admise. Faut-il donc que les publicités aient un message extrêmement important à diffuser pour que collectivement notre société encadre et tolère ces débordements ? L’utilité sociale de cette activité est-elle si évidente pour qu’on ne s’interroge pas à son sujet ? La pollution visuelle et le non-respect des libertés individuelles seraient des contreparties acceptables devant les bienfaits miraculeux de l’affichage publicitaire ?

Quelles sont les réponses des responsables politiques ? Ils reconnaissent tous le problème, promettent d’y réfléchir, de travailler avec les associations sur le sujet, puis bottent en touche lorsqu’ils sont au pouvoir. Un exemple parmi tant d’autres concerne les réponses des différents ministres de l’environnement aux questions des parlementaires qui les interpellent sur le sujet. Il est presque systématiquement fait référence au travail du Conseil National du Paysage. Or ce fameux conseil ne s’est réuni qu’une fois, à sa création en 2001. Depuis, rien. On nous parle actuellement d’une remise sur pied de cette structure. Avec quel périmètre ? Dans quels délais ? Là encore, c’est le flou artistique dans les couloirs du Ministère de l’Ecologie. On parlait à l’UMP d’une refonte des lois sur le paysage pendant la campagne présidentielle. Ces questions ont été les grandes absentes du Grenelle et sont enterrées pour l’instant.

A travers l’affichage, d’autres questions liées au système publicitaire sont également soulevées. L’actualité a été plutôt riche de ce côté ces derniers mois. Le financement de services publics par la fameuse « manne publicitaire » a fait couler beaucoup d’encre en ce début d’année. Tout le monde semble d’accord pour dire que la suppression de la publicité est une bonne chose pour la qualité du service audiovisuel public. Cependant, à aucun moment la réflexion n’a été étendue à l’espace public dans son ensemble. Est-il normal que des services publics soient financés par une taxe privée ? Car, même si personne ne le rappelle, il est évident que l’argent de la publicité ne tombe pas du ciel. Les dépenses des entreprises pour leur communication extérieure sont de l’ordre de 30 Mds d’euros. C’est à dire 500 euros par personne et par an répercutés sur le prix des produits. Une nouvelle piste pour le pouvoir d’achat ? Le système publicitaire prélève donc sa taxe, de façon beaucoup plus discrète que l’impôt public. L’homme politique est trop heureux de faire miroiter la gratuité d’un service et de s’enorgueillir de la stabilité des prélèvements fiscaux. Il s’agit là de la plus pure hypocrisie. Nous en avons récemment eu un bel exemple à Paris avec le marché des Vélibs en échange de la concession des panneaux d’affichage sur le domaine public. Le règlement local de publicité voté par la suite est de la poudre aux yeux permettant au maire de justifier d’une action contre l’invasion publicitaire (preuve que le thème est porteur à quelques mois d’une échéance électorale) sans fondamentalement modifier le paysage urbain de la capitale.

Concernant les contenus diffusés par ces publicités, un exemple récent illustre bien les enjeux. Les spots publicitaires sur les aliments gras et sucrés sont sur la sellette grâce au travail de plusieurs associations qui arrivent péniblement à faire prendre en compte les dangers qu’ils représentent pour la santé des enfants, notamment en ce qui concerne l’obésité. Ce type de publicité est-il moins dangereux lorsqu’il s’étale en 4x3 dans la rue ? La justice a récemment apporté un début de réponse à cette question lors du procès de membres du Collectif des déboulonneurs en reconnaissant que « le risque environnemental, social et sanitaire » de l’affichage publicitaire est « sous-évalué ».

L’affichage publicitaire est-il intouchable en France ? Confine-t-il au sacré pour que l’on n’ose pas l’aborder ? Les relations entre nos dirigeants politiques et les publicitaires sont-elles si fortes pour que la chape de plomb soit encore maintenue longtemps sur le sujet ? Ces questions de fond méritent pourtant qu’on en débatte. Elles appellent une « rupture » avec la politique des 30 dernières années.